Les premières théories de la lumière apparaissent dans les pays d’Islam.
Après la chute de l’empire romain, une nouvelle religion apparaît avec comme prophète Mohammed. Elle s’étend rapidement de Saragosse à Samarkand. Les principales villes du nouvel empire musulman (Damas, Bagdad, Kairouan, Cordoue, Ispahan, le Caire…) connaissent une extraordinaire effervescence intellectuelle : des bibliothèques et des institutions d’enseignement sont créées, de nombreux textes sont traduits. C’est dans ce contexte que les sciences arabes (c’est à dire écrites en arabe, quelle que soit la confession des auteurs), empruntant à plusieurs traditions (grecque, indienne, chinoise, babylonienne), profanes, vont se développer et aller plus loin que toutes celles qui les ont précédées.
En optique, les savants s’approprient Platon Aristote, les connaissances anatomiques de Galien, les œuvres d’Euclide et Ptolémée. Se souvenant de la tradition légendaire qui veut qu’Archimède ait incendié la flotte romaine au large de Syracuse, al-Kindi (IXe siècle) travaille sur les miroirs ardents, étudie la lumière qu’ils réfléchissent et qui enflamme les corps : elle possède donc une réalité matérielle et se propage, dit-il, selon « des rayons lumineux ». Ibn-Sahl (Xe) va plus loin : il ne s’intéresse plus du tout à la vision mais à la lumière solaire matérielle, aux lentilles, aux rayons réfractés. Ibn al-Haytham (XIe), se saisit de ces prémices et, dans son monumental Traité d’optique, développe sur des bases méthodologiques nouvelles une théorie complète de la lumière, fondée sur la méthode hypothético-déductive testée par l’expérience. C’est la méthode expérimentale qui naît sous sa plume.
Grâce à des appareillages soignés, il mesure que la lumière se propage selon des droites, se réfléchit, se réfracte selon des angles précis. Pour lui, la « plus petite des lumières » se comporte comme un corps pesant : il le vérifie en réalisant des dispositifs expérimentaux permettant, d’une part, de contrôler les propositions de l’optique géométrique d’Euclide (mais inversée, la lumière se propageant de la source à l’œil), et, d’autre part, de montrer que la lumière peut être assimilée à un mobile. Il peut aussi expliquer tous les effets observés de la lumière en séparant les aspects que nous dirions physiques, physiologiques, psychologiques. Voici la première théorie corpusculaire de la lumière formulée. Ibn al-Haytham est violemment attaqué par des philosophes, qui lui reprochent d’introduire le mouvement en mathématique. Un clivage s’opère, qui s’étendra bientôt aux mécaniciens. Tous ceux qui suivent Ibn al-Haytham empruntent au monde des techniques les moyens de valider leurs déductions : l’expérience devient pour eux une catégorie de la preuve.
A partir du Xe siècle, le monde chrétien découvre cette science grâce à d’audacieux voyageurs, mais aussi par le biais des communautés hébraïques fixées dans les deux mondes, par les contacts directs dans les villes limitrophes, et par la reconquête de la Sicile (1063) et de Tolède (1085). Les traductions sont nombreuses à partir du XIIème siècle. On intègre telles quelles dans la langue les expressions qui n’ont pas d’équivalent en latin : alambic, algèbre, alchimie, élixir, luth, rebec… Mais les orientations des clercs sont toutes autres que celles des savants en pays d’Islam : nous l’avons dit, ceux-ci développent leurs activités dans un espace profane, tandis que les premiers, au sein des monastères, essaient de concilier la foi et la raison. Ils le font par de multiples voies mais tous privilégient le raisonnement logique à la méthode expérimentale : celle-ci restera inconnue pendant de longs siècles chez les latins.
Thomas d’Aquin (1228-1274), idéalise la métaphysique d’Aristote et l’adapte à la révélation chrétienne. Il fait de la lumière une pure qualité qui représente la perfection de Dieu : appartenant à son domaine, elle ne veut être vulgaire, se quantifier. À Oxford, Robert Grossetête (+1253) se pose explicitement comme héritier d’Aristote et des mécaniciens arabes. Il veut résoudre la contradiction qui voit, dans la Genèse, Dieu séparer le premier jour la lumière des ténèbres et créer les luminaires le quatrième jour seulement : il tient la lumière pour la première forme corporelle créée par Dieu, en un point. Ce point possède la propriété de se dilater et d’étendre l’espace instantanément, selon une sphère. Lorsqu’elle atteint sa limite de ténuité, cette sphère de lumière fondamentale (le lux) cesse de se dilater. La lumière matérielle (le lumen) se rétracte alors, revient au point initial, se dilate à nouveau et ainsi de suite. A la quatrième rétractation se forment les planètes et la sphère terrestre, disposées selon le schéma général aristotélicien. Cette métaphysique de la lumière est mise par Grossetête au service des sciences de la nature : il identifie le lumen à des battements analogues aux sons qui se propagent dans l’éther, y applique la géométrie pour expliquer réflexions et réfractions. Voici une première conception « ondulatoire » énoncée.
Elève de Grossetête, Roger Bacon (+1294) veut restaurer la philosophie révélée par Dieu à Adam et perdue lors de la faute originelle. Pour cela, il développe la « science expérimentale », dont il forge le nom (mais en ne faisant que des observations mesurées), et accentue ses applications pratiques. Witelo (+1300) lui préfère la théorie corpusculaire d’Ibn al-Haytham (appelé Alhazen par les latins). Il reste à Jean Buridan (+1359) à expulser les abstractions aristotéliciennes de la physique et à Nicole Oresme, évêque de Bayeux (+1382) à formuler le principe de relativité des mouvements. Science expérimentale, mathématiques, étude du mouvement… la science moderne trouvera sa source dans ces travaux médiévaux. Pour la lumière, les fondements des deux théories rivales, corpusculaire et ondulatoire, sont posés.