Maxwell : la lumière est une onde électromagnétique.
À la même époque, le système de Newton subit d’autres assauts : pour expliquer la chaleur, des physiciens introduisent une substance sans poids le calorique. Pour rendre compte de l’électricité, du magnétisme, ils font appel à d’autres fluides non pondéraux. Le Danois Oersted veut mettre en évidence les conflits de forces qui ne peuvent que se produire dans l’espace. Il croit prouver cette assertion de la « Naturphilosophie » en mettant en évidence des « conflits électriques » et des « conflits magnétiques » : un aimant peut repousser ou attirer un conducteur dans lequel circule un courant électrique, et réciproquement. Or, cette action s’exerce perpendiculairement aux corps en interaction, alors que toute la physique newtonienne décrit des attractions selon les droites qui joignent ces corps. Arago introduit ces expériences en France, Ampère les mathématise et les étend. Un autodidacte anglais, Michael Faraday, prolonge cette démarche. Manquant de formation mathématique, il considère les figures que dessine la limaille de fer autour des courants et des aimants, constate que les petites aiguilles se disposent sous l’effet de forces perpendiculairement au plan du conducteur électrique ou du barreau aimanté, fait dépendre ces forces de la structure du milieu qui s’étend du conducteur à la limaille. Pour lui, cet espace intermédiaire serait analogue à un poulpe muni de nombreux tentacules. Sous l’effet d’une variation de courant, ses bras se déplaceraient et entraîneraient la limaille… L’aspect de celle-ci lui rappelle les sillons d’un champ vus d’un ballon au-dessus de la campagne : par analogie, il appelle « champ de forces » l’action progressive du milieu intermédiaire. À une époque où la physique est hautement mathématisée, les déductions qualitatives de Faraday paraissent naïves.
Elles attirent cependant l’attention d’un physicien écossais, John-Clerk Maxwell, qui en retient plusieurs aspects : le rôle du milieu intermédiaire, la notion de champ qui se propage, l’interaction entre électricité et magnétisme. Le seul tort de Faraday, pense Maxwell, c’est d’avoir donné à l’espace une structure fibreuse : une telle représentation ne permet aucune mathématisation. Maxwell va donc s’évertuer à trouver un mécanisme mathématisable, « une analogie physique », dont l’action produirait celle, observée et mesurée, qui oriente la limaille. Étant parvenu à imaginer un tel dispositif formé de roues et de pignons, il en donne la description mathématique, réduit ensuite les roues à de simples points, obtient ainsi des formules de propagation du champ qui expliquent tous les effets observés autour des aimants, des courants, dans leurs interactions, puis rejette son analogie mécanique devenue inutile pour ne garder que les formules. Une nouvelle branche de la physique vient de naître : l’électromagnétisme. Maxwell considère donc la propagation d’une perturbation, d’une énergie, d’un champ − d’une onde − au sein d’un milieu intermédiaire : l’éther. Ses formules lui permettent de calculer la vitesse de la propagation de l’onde électromagnétique : 300 000 km/s. Que de coïncidences : même vitesse, un éther, des ondes, des vibrations transversales… Pourquoi remplir l’espace d’un nouveau milieu toutes les fois que l’on doit expliquer un nouveau phénomène ? En 1873, il franchit le pas et postule qu’éther luminifère et éther électromagnétique ne sont qu’un, que la lumière est une onde électromagnétique… Plus besoin de chercher à définir la rigidité de l’éther, à en faire de la gelée visqueuse. Il suffit de poser des équations de propagation d’un champ, et d’admettre un simple support doté de propriétés diélectriques : l’éther. Maxwell vient d’unifier lumière, électricité, magnétisme… et de rompre avec la volonté de décrire le monde en termes de mécanique. Les physiciens de son temps n’adoptent pas cette démarche et qualifient Maxwell de « cinglé ».
En 1885, Heinrich Hertz, vérifie les équations de Maxwell : il produit des ondes électromagnétiques, décrit leur propagation, prouve leur réflexion, leur réfraction, leur transversalité, mesure leur longueur d’onde (environ un mètre), mesure la vitesse de propagation des ondes hertziennes : 300 000 km/sec. Dix ans plus tard, Roëntgen découvre les rayons X, qui seront identifiés comme des ondes électromagnétiques à très courte longueur d’onde. Des rayons X (et en deçà) aux ondes radio (hertziennes), les ondes électromagnétiques montrent des variations continues de longueurs d’ondes dont les effets perceptibles sont différents et peuvent être mis en évidence par différents types de récepteurs. Le récepteur qu’est l’œil n’est sensible qu’à une bande très étroite de longueurs d’ondes allant de 0,4 à 0,7 micron : c’est ce que l’on appelle lumière. Helmholtz en étudie les conditions de visibilité et détermine la structure de l’œil. Il découvre que la rétine est formée de deux catégories de cellules : les bâtonnets, plutôt périphériques, sensibles à la luminosité, les cônes, plus centraux qui produisent la vision des couleurs. Il détermine trois catégories de cônes, sensibles à des gammes différentes de fréquences et qui provoquent la variété de la vision colorée. Un type de cône manque t-il et la vision chromatique est perturbée, par exemple dans le daltonisme où les cônes sensibles au rouge sont absents.
Sommes-nous parvenus à la fin de l’histoire de la lumière ? Les physiciens le croient à l’aube du XXe siècle. Traduisant l’opinion générale, Lord Kelvin affirme « la physique est définitivement constituée dans ses concepts fondamentaux : tout ce qu’elle peut désormais apporter, c’est la détermination précise de quelques décimales supplémentaires. Il y a bien deux petits problèmes : celui du résultat négatif de l’expérience de Michelson et celui du corps noir, mais ils seront rapidement résolus et n’altèrent en rien notre confiance ». Premier problème : l’expérience de Michelson. Si l’éther emplit le monde, le mouvement de la terre doit amener des perturbations. Dix ans d’efforts, des mesures extraordinairement précises montrent au contraire que la vitesse de la lumière mesurées à partir d’une source en mouvement (la terre) est toujours constante et ne suit pas la loi d’addition des vitesses. Second problème : celui du « corps noir ». Le corps noir est un objet théorique d’étude. Pour comprendre le problème qu’il pose, il suffit d’imaginer une barre de fer que l’on chauffe : au fur et à mesure que la température s’élève, elle devient rouge, puis orange, jaune, blanche, bleue avant de reprendre sa couleur initiale… À une certaine température, l’énergie rayonnée par la barre peut se représenter, en fonction des fréquences par une courbe en cloche. Si on calcule cette énergie à partir des données de la théorie électromagnétique, on trouve qu’elle devrait tendre vers l’infini en allant vers l’ultra-violet… une bûche jetée dans le feu devrait ainsi, selon la théorie, être source d’un rayonnement énergétique infini ! c’est impossible, la théorie doit donc être revisitée…