Newton et sa théorie corpusculaire de la lumière.
Récusant Descartes (« En ce qui concerne la physique, Monsieur Descartes, n’a jamais rien dit de bon »), Newton fait le raisonnement suivant : si les planètes étaient entraînées par l’éther, il y aurait contacts, frottements, dissipation de chaleur, perte de mouvement : l’horloge de Descartes devrait s’arrêter. Le monde ne peut donc être plein : il est vide ! En 1666, à 23 ans, il s’intéresse aux couleurs. Parmi les traditions qui l’on précédé, il préfère d’emblée la théorie corpusculaire : il part de l’hypothèse que les rayons de lumière sont constitués de corpuscules de masses et de vitesses différentes. Il pose un morceau de verre sur un fil bicolore, et constate que, par réfraction, chaque couleur se sépare. La partie bleue, plus déviée, correspond – pense-t-il – aux corpuscules plus légers et rapides, la partie rouge, moins déviée, à des corpuscules plus massifs et plus lents. Dans l’obscurité complète, il fait tomber sur un prisme le fin pinceau de lumière solaire qui passe par un trou percé dans un volet. Sur un écran placé derrière le prisme, il observe une image colorée et s’émerveille à « contempler les couleurs vives et intenses ainsi produites » : rouge à une extrémité, puis jaune, verte, bleue, violette pour les rayons les plus déviés. Guidé par sa théorie, il a l’idée d’isoler une des couleurs dispersées au moyen d’un diaphragme. Il fait tomber, par exemple, un rayon rouge sur un second prisme, qui ne le disperse plus. Il en va de même pour le jaune, le bleu… Newton note qu’à chaque couleur correspond un degré de réfrangibilité et, ce qui ne manque pas de le surprendre, que le mélange des couleurs donne le blanc. La lumière serait donc formée de petites masses lancées par la source ; elles se propagent à une vitesse fantastique – 300 000km/sec vient de calculer Römer en observant les satellites de Jupiter. Lorsqu’ils arrivent sur le prisme, les corpuscules sont déviés. Ils se rapprochent de la normale à la surface de séparation, sont donc accélérés par une force. La lumière va plus vite dans le verre que dans l’air conclue Newton. Ces déductions logiques sont, on le voit, tout à fait différentes de celles effectuées par Huygens. Peuvent-elles fonder une conception du monde ? Pour cela, il faudrait expliquer par les mêmes principes le mouvement des planètes… Newton s’attaque à ce problème qu’il parvient à résoudre en 1687 dans les Principia, avec la Loi de la Gravitation Universelle, par laquelle il peut décrire tous les effets physiques observés, de l’infiniment grand le mouvement des astres à l’infiniment petit la lumière, grâce à l’action de forces qui s’exercent dans le vide sur des masses et sont exprimées par l’algèbre. Newton est pourtant obligé d’entamer la belle cohérence de son système pour expliquer les couleurs des bulles de savon et l’ombre d’un cheveu : les mesures qu’il effectue sur ces deux phénomènes l’obligent à introduire, pour les expliquer, un éther qui emplit le monde. Il publie son Optique en 1702, après la mort de ses concurrents partisans de la théorie ondulatoire… mais pourquoi remettre en cause un beau Système du Monde pour l’ombre d’un cheveu ?
L’Univers est-il plein ou vide ? Peut-il être décrit par la géométrie ou par l’algèbre ? Les grandeurs pertinentes sont-elles l’étendue et le mouvement ou les masses et les forces ? Dieu a-t-il réalisé une horloge parfaite et se repose-t-il le septième jour, comme le postule Descartes, ou intervient-il sans cesse sur son œuvre, comme l’explique Newton, qui fait de la gravité, inexplicable en mécanique, l’action constante de Dieu sur le monde ? Mais comment expliquer un monde plein où les frottements devraient finir par arrêter le mouvement ? Il y a bien une expérience qui permettrait de distinguer les deux physiques : la mesure de la vitesse de la lumière dans le verre, plus grande que dans l’air selon Newton, plus faible selon Huygens… mais cette expérience cruciale, personne ne sait alors la réaliser : les appareillages disponibles l’interdisent. C’est donc sur le rôle de Dieu et sur la validité des « grands systèmes » que va se concentrer le débat.